Les vertus (ou leur absence) de l’hétérogamie ?

Hétérogamie vs homogamie : les différences ne nous enrichissent-elles pas plus que les ressemblances ?

Une chronique signée Virginie Vanos

La plupart de mes chroniqueurs l’ont perçu comme tel : mon recueil « Chicha  et autres nouvelles » est un appel à la main tendue vers l’autre et à la compréhension de l’autre. Je sais que je passe bien souvent pour une hippie un peu béate, pour ne pas dire complètement une bisounours complètement conne, mais écrire de jolies histoires tout public ne m’a jamais suffi.

J’ai bien souvent fit passer mes idéaux et réflexions  personnelles dans mes romans comme dans mes nouvelles. « Chicha » est sorti il y a deux ans et je m’étonne qu’aucun de mes lecteurs  n’ait percuté sur ce long passage sur l’hétérogamie, concept auquel j’adhère fermement.  

virginie vanos homme inde

Je vous livre ici un extrait de la nouvelle « Le spécimen »

                « Le professeur Gautier s’approcha du tableau noir et écrivit en lettres majuscules : « LE MARIAGE ».

- Qui tenterait d’exposer un avis novateur sur cette institution séculaire ?

Emilie leva le doigt.

- Pour moi, le mariage est une façon de solutionner des problèmes que l’on subit seul quand on est célibataire et d’en créer d’autres en ayant la mauvaise idée de se mettre en couple !

Gautier sourit.

- Votre avis est élégant et certes fort amusant, mais n’entre guère dans le cadre d’un cours d’anthropologie. D’autres essais ?

Charlotte prit la parole d’une voix douce et ferme.

- A mon sens, c’est dans l’histoire, non pas de l’institution mais de l’acte en lui-même que je trouve des pistes de réflexion. A l’origine, le mariage est un cadre établissant l’une des structures familiales de la société. Jusqu’à une époque assez récente, le mariage était vu comme une union contractuelle où chacune des deux parties était supposée s’enrichir mutuellement par l’accumulation de biens. Une famille de paysans étendait la superficie de ses champs en unissant leur fils à la fille des agriculteurs voisins. Dans la bourgeoisie, c’était une manière d’accroître le patrimoine en additionnant les biens meubles et immeubles du couple. Et dans les familles princières, c’était la voie idéale pour sceller une alliance ou conclure un traité de paix.

Mais après la seconde guerre mondiale, arrive un phénomène nouveau : le mariage d’amour. Celui-ci est bien plus risqué et mille fois plus faillible que le pacte social et financier car il se base sur les affinités électives, et non sur des biens matériels. C’est ainsi que de nos jours, les unions matrimoniales connaissent une baisse croissante tandis que le taux de divorce explose. D’un côté, on a de plus en plus peur d’un engagement définitif. De l’autre, le moindre échec, la moindre contrariété pousse aux disputes et à la dissolution de l’union.

Il existe toutefois une exception, en tout cas, d’après mon expérience personnelle. Plus un couple est homogame, plus le mariage a des chances de tenir sur le long-terme. Si les conjoints font partie de la même communauté, ont les mêmes convictions religieuses, sont de la même ethnie et partagent les mêmes centres d’intérêt, le risque de divorce s’en retrouve largement diminué.

Pareillement, s’ils ont sensiblement le même âge, les mêmes moyens financiers et même des physiques assez similaires, la proportion de séparations chute de façon vertigineuse. D’une part, on est réconforté par le côté quasi gémellaire de l’union mais de l’autre, ce sont des alliances peu enrichissantes d’un point de vue humain.

Car on ne prend plus la peine de découvrir l’autre dans ses différences, on reste inconsciemment sur des positions figées. Ces mariages sont rassurants, certes… Cependant, ces unions ne sont aucunement de nature à accroître le potentiel de création et d’innovation de la société. Ma conclusion peut paraître un peu loufoque : plus on tend à une relation de longue durée avec quelqu’un qui ne nous ressemble pas, sans pour autant qu’il nous soit totalement antinomique, plus nous nous ouvrons à l’autre en particulier… et à l’humanité toute entière.

 

Gautier acquiesça.

 

- Mademoiselle (ou Madame ?), votre point de vue est clair, bien argumenté et fondé sur des thèses brillantes d’humanisme. Mes petits gars, je vous demande une dissertation sur l’hétérogamie, ses avantages et ses dangers, dans toutes les strates de la société. Je laisse libre court à votre imagination et votre inventivité. N’hésitez pas à me surprendre. Soyez brillants. A la semaine prochaine !

 

Emilie était époustouflée par l’exposé de Charlotte. Elle ne dut guère se faire violence pour lui proposer de déjeuner avec ses amis. Charlotte accepta l’invitation à cœur joie. Hassan et David étaient tout aussi enchantés. Seule Jennifer faisait grise mine pendant qu’ils se rendaient tous à la cafétéria. Voyant les discussions naissantes qui devenaient de plus en plus passionnées, elle s’arrêta net et cria en plein milieu du hall principal :

 

- Vous trois, vous n’êtes que des lécheurs de vioque pourrie !

 

Charlotte ne cacha pas le choc que lui avait causé la vulgaire sortie de Jennifer. Emilie la rassura.

 

- Tu sais, on la connaît depuis longtemps. Elle n’a jamais supporté la moindre concurrence. Non seulement, tu as fait un exposé passionnant, ce dont elle n’aurait jamais été capable, mais de plus elle n’accepte pas qu’on déjeune avec…

 

- Une vieille peau de chat mitée ? Un zèbre d’entre deux âges au pays des jeunes ?

 

- Non, une adulte, tout simplement ! Mais dis-moi, où as-tu pêché ces idées ? Tu as déjà été mariée ?

 

- Non, je n’ai jamais vraiment connu d’union stable… Mais cela ne m’a jamais empêché de réfléchir de façon impartiale sur les couples et les célibataires qui gravitent autour de moi. Tu dois sans doute te demander ce que je fais en fac, alors que j’approche de mon 38ème anniversaire…

 

Charlotte profita de l’écoute attentive et bienveillante de ses acolytes pour leur raconter brièvement son parcours : le pater familias, la librairie, le frangin coureur et sa décision de concrétiser sa vocation première une fois tous les obstacles écartés.

 

- Ca ne te fait pas trop de peine, tout ce temps perdu ?

 

- Non, au contraire. Je pense qu’il a fallu toutes ces années d’observation pour pouvoir arriver à l’université. A vingt ans, je n’avais ni le recul, ni la maturité requise et je me serais sans doute royalement plantée au bout d’un semestre.

 

Hassan toussota.

 

- Excuse-moi, puis-je te demander quelques idées pour la dissertation sur l’hétérogamie ? J’avoue que je n’ai aucune idée valable… Gautier va me clouer au plancher !

 

- Tu es Magrébin, si je ne m’abuse ?

 

- Oui, mes grands-parents sont nés dans le Sud du Maroc.

 

- Je suppose donc qu’ils sont Berbères… Quand tu vois les Européens mettre dans le même sac les Arabes, les Berbères, les Kabyles, ça ne te fait pas sortir de tes gongs ?  Pourquoi alors ne pas faire une dissertation au sujet des préjugés du monde occidental sur la supposée homogamie du Maghreb depuis Tanger jusqu’au Caire ? Beaucoup de gens pensent à tort que chacun se marie là-bas dans le même oued, avec son propre cousin.

 

- J’adore ! J’adhère ! Charlotte, tu es une mine d’or!

 

Ils continuèrent à discuter longuement sur cette fameuse dissertation. Emilie choisit d’exposer ses réflexions sur les mariages entre deux personnes de classes sociales diamétralement différentes. Son idée émanait simplement du fait que son père, simple cordonnier, avait épousé une vétérinaire.

Et que leur mariage avait été précédé de dizaines de mises en garde, toutes injustifiées. Il n’y avait pas de couple plus heureux que les parents de la jeune fille. Son père apportait le calme et la sérénité à son épouse tandis qu’elle lui avait fait découvrir ses propres capacités d’audace et d’innovation.

 

David restait muet. Il ne voulait guère en parler aux autres, mais son idée était déjà toute trouvée. Il comptait exposer le merveilleux danger d’un couple dont les idéaux étaient identiques mais dont l’un avait pratiquement le double de l’âge de l’autre…

 

Au cours suivant, ce fut la baraka pour les trois jeunes comme pour Charlotte. Leurs exposés respectifs furent accueillis avec un énorme intérêt par le professeur Gautier. Dans son coin, Jennifer faisait une véritable tête d’enterrement.

La thèse qu’elle avait soutenue était qu’un couple pouvait fonctionner s’il était d’ethnie ou de religion différente mais qu’il était impératif qu’ils aient les mêmes moyens financiers et le même degré de beauté.

Elle avait lourdement insisté qu’à la fin, le plus pauvre ou le plus moche en voudrait à l’autre de lui être supérieur en ces points qu’elle jugeait vitaux. Gautier la sermonna en public sur la vacuité de ses propos et très ironiquement, lui conseilla de cesser toute lecture de magazine people. »

 

Les dires de Charlotte illustrent bien entendu mon point de vue, alors que ceux de Jennifer illustrent ce que j’ai pu entendre ou lire chez certains protectionnistes à outrance, parfois âgés de moins de 20 ans !

virginie vanos homme afrique

 

Et vous qui me lisez,  quelle est votre opinion sur les vertus (ou leur absence) de l’hétérogamie ?

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Commenter cet article
M
Je pense que tout dépend de ou on en n'est en ce qui concerne notre approche de la différence (quelle qu’elle soit d’ailleurs) et si on l’accepte vraiment. Seule la tolérance amène à y voir clair et même s’il n’est pas aisé de s’ouvrir à des cultures différentes, ce qu’il faut c'est quitter les préjugés, sinon c'est là, qu'on découvre un jour, à ses dépens, que l'on s'est trompé…
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B
La tolérance, elle disparait de plus en plus
L
En voici un sujet simpa
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B
merci
M
Je ne sais pas si l'on peut vraiment connaître les autres et encore moins les comprendre ; mais cela fait le "charme" des relations humaines.
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B
la complexité des relations humaines, un vrai sujet de philosophie.