Oh, juste un point virgule, hommage à la peinture et à l'écriture...

« Un point-virgule ! Mais c’est quoi ça, se moquait Déborah. Ça sert à quoi, un point-virgule ? », Oh, juste un point virgule une micro-fiction signée Yves Carchon en hommage à la peinture et à l'écriture.

Nadine_bonnaz_2015
Courtesy ©Bernieshoot
Oh, juste un point-virgule

 

La chatte préférée de Déborah semblait m’attendre, assise sur la murette, guettant comme chaque soir mon arrivée. Elle a bâillé, s’est étirée en me voyant. J’ai rempli sa gamelle de croquettes. Tiens, elle n’a pas bronché.

D’habitude, elle sautait dans mes pattes, s’y frottait, la queue levée, raide comme un périscope. Là, rien.

« Pas faim, Pelote ? » ai-je demandé.

J’aime bien parler aux animaux ; aux hommes, moins.

Pelote, c’était un nom que Déborah lui avait dégoté. Enfin, juste avant de mourir. Elle était encore jeune, Débo.

Pourquoi elle, grands dieux, pourquoi être partie si tôt ?

On s’engueulait, se chamaillait. On s’aimait malgré tout.

Ça s’est réglé en une minute. Raide morte sur le carreau de l’atelier.

Son atelier où personne ne rentrait.

A part moi et Pelote. Déborah était peintre.

Elle adorait les fleurs, les fruits juteux, Dostoïevski, Chagall, l’amour sur le divan de l’atelier où elle dormait parfois. Quand je l’ai retrouvée, elle était froide, séchée comme une guenille. C’est Pelote qui m’avait alerté, miaulant les larmes de son corps et m’appelant.

Moi, au fond du grenier, je rajoutais un point-virgule dans une phrase.

« Un point-virgule ! Mais c’est quoi ça, se moquait Déborah. Ça sert à quoi, un point-virgule ? » Trop long à expliquer.

Toujours est-il qu’entre Débo et la féline Pelote, le courant passait bien.

Moi, j’étais bien trop fier de les avoir pour seules compagnes, de me savoir guettée par l’une (pour les croquettes) et appelé par l’autre, pour me montrer sa dernière toile.

Coloriste elle était. J’adorais ses couleurs.

Celles qui naissaient aussi sur la peau de ses joues, quand elle riait après un verre de trop.

Putain de vie !

Pelote, toujours sur la murette, me regardait. Avec ses grands yeux verts, intenses, comme s’ils cherchaient à m’avertir.

Alors, dans l’atelier, il y eut un bruit, comme un tableau tombé au sol, puis j’entendis comme un juron lancé à l’intérieur.

De ces jurons dont seule Déborah était capable.

Avais-je bien entendu ?

J’ai fixé drôlement Pelote : « Ne me dis pas qu’elle est… » Oui, ai-je pensé : et si Débo s’était enfin décidée à rentrer au bercail ?

J’allais foncer pour lui ouvrir tout grand mes bras, mais sur le seuil de l’atelier est apparu un chat, tout noir, qui, me voyant, s’est enfui en courant.

Pelote alors a rejoint sa gamelle.

Et moi, ma solitude.

yves  carchon auteur ecrivain
Yves Carchon © Djebel Gilbert Nogues

Oh, juste un point virgule, une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer" et de "Vieux démons"

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T
C' est bien que d' un rien on fasse une histoire !<br /> Bonne journée Bernie
Répondre
B
Il faut du talent pour le faire