Le meurtre de l’honorable professeur Paikkala

Avec sa nouvelle policière Le meurtre de l’honorable professeur Paikkala, Virginie Vanos est pour la seconde fois l'une des gagnantes du concours de Polar de Lens. Les contraintes étaient, cette année, les suivantes: l'histoire devait se passer dans le froid ou l'hiver, commencer comme un conte de fées, inclure une œuvre d'art et  le nom d'un personnage de conte de fées.

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Le meurtre de l’honorable professeur Paikkala

Il était une fois en Laponie une jeune femme nommée Arja Virtanen, la commissaire principale de la Police Judiciaire de Kittilä. En ce jour de février où nul ne songeait à fêter la Saint-Valentin, il neigeait à gros flocons. La blancheur des lacs enneigés se confondait avec les brumes opaques des froides matinées du nord de la Scandinavie. Appelée tôt ce matin-là par le central, elle se retrouva immédiatement plongée dans une effroyable scène de crime. Arja se pencha sans traîner sur le cadavre déjà congelé du professeur Jalo Paikkala.

 

- Bien, ça s’annonce fort, marmonna-t-elle entre ses dents. Va-t’en faire une autopsie par un temps pareil.

 

Le thermomètre flirtait avec les moins 24° C. Arja pensait qu’il était impossible de déterminer l’heure exacte de la mort. Le visage de Paikkala, figé dans une expression de terreur, semblait la supplier de découvrir et d’arrêter son meurtrier.

 

- T’inquiète pas, mon vieux. Je mettrai rapidement au frais le salopard qui t’a fait ça...

 

Une voix de baryton s’éleva derrière la jeune femme.

- Et moi qui croyais que les jeux de mots, c’était pas votre fort, commissaire ! Alors, dites-moi, qu’est-ce que ce macchabée nous raconte ?

 

C’était l’inspecteur Erkki Nieminen, un des meilleurs éléments de sa brigade. « Un ours dans une peau d’homme », disait-on de lui. Arja aimait travailler avec lui. Tous deux étaient reconnus pour leur pugnacité et partageaient le même goût du sarcasme.

 

- Trêve de plaisanteries, Nieminen.  Je vous fais rapidement le topo. Un randonneur matinal a découvert Paikkala ce matin aux alentours de 8 heures. Premier constat : quand je suis arrivée sur les lieux, le corps était déjà congelé, pas étonnant vu la météo. Je n’arrive même pas à voir d’éventuelles lividités cadavériques. Je penche pour une probable strangulation, vu l’aspect des ecchymoses autour du cou.

- Comment vous avez réussi à l’identifier aussi vite ?

- Fastoche, il avait ses papiers sur lui. On n’a pas touché à son portefeuille et on ne lui a visiblement rien dérobé. Il a même encore sa chevalière en or. Et celle-ci doit valoir pas mal d’argent.

- On peut écarter d’emblée l’hypothèse du braquage qui a mal tourné. Ce n’est clairement pas l’œuvre d’une petite frappe du coin. On penche pour le crime crapuleux ou la vengeance personnelle ?

- Ouais. Et on envisage toutes les raisons pour lesquelles quelqu’un voudrait faire la peau à un prof d’histoire de l'art à la retraite.

 

Quand Arja rentra dans les locaux de la PJ, elle fit une recherche rapide sur Jalo Paikkala.  Professeur émérite d’histoire de l’art à l’université d’Helsinki jusqu’à sa retraite en 2012.  Pas de casier judiciaire, pas même une infraction au code de la route. Jamais marié, pas d’enfants. Un grand solitaire, doublé d’un citoyen modèle. « Sans doute maqué avec des artistes morts et des vieux tableaux », pensa Arja.

 

- Vous savez pourquoi Paikkala est venu se geler les grelots ici, commissaire ? Sûrement pas pour les plaisirs du snowboard ou pour faire mumuse avec les huskies ! C’est évident que ce genre d’intello avait un but précis.

- Je pense ne pas trop me tromper si j’affirme qu’il a dû venir pour l’exposition temporaire sur Klimt.

- Klimt ? Ce n’est pas le gamin que j’ai arrêté l’année dernière alors qu’il dealait sur la route d’Ylläs ?  Il n’est pas en zonzon, à cette heure-ci ?

- Gustav Klimt, le peintre autrichien, pas Kimi le dealer, espèce de gros béotien !

- Ah. Oui. Bon ! On va à la galerie d’art de Virpi ?

- Oui, ce serait un bon début.

 

Les deux flics arrivèrent une heure plus tard à la salle d’exposition du centre-ville de Kittilä, dont la pétulante Virpi, une véritable célébrité locale, était la propriétaire.

- Salut Virpi !

- Salut Arja ! Tiens, voilà ce diable d’Erkki ! J’imagine que tu ne viens pas uniquement pour mes beaux yeux et encore moins pour mon expo.

Arja intervint.

 

- Enquête criminelle, ma pote... Tu peux peut-être nous aider. Le professeur Jalo Paikkala, ça te dit quelque chose ? Il n’est pas venu ici, par hasard ?

- Et comment ! Oui, pas plus tard qu’hier, en fin de matinée. Ce n’est pas tous les jours qu’un type pareil vient à la galerie. Un véritable homme du monde, un authentique gentleman, un passionné comme on n’en fait pas ici. Il a passé deux heures à examiner de près tous les tableaux. Ce qui m’a le plus frappée, c’est qu’il se soit immobilisé, totalement pétrifié, comme en extase, devant « Judith et Holopherne ».

- Des connaissances à lui ?

- Erkki, on vous parle d’une des plus grandes œuvres du XIXème siècle ! Vous êtes peut-être un excellent flic, mais excusez-moi, côté culture, vous n’avez que celle de la patate douce. Virpi, il était seul quand il s’est retrouvé en transe devant ce tableau ?

- Dans un premier temps. Puis j’ai vu une nana qui a tenté de le harponner. Le genre mi-Cendrillon mi- Lady Di. Mais en plus vieille, si tu vois ce que je veux dire.

- Je ne suis pas très fan des « si tu vois ce que je veux dire ». Tu ne pourrais pas nous donner un signalement plus précis ?

- 45 ans, peut-être 50. Grande, élancée, blonde, le style aristo sur le retour. Elle n’a pas signé le registre. Je ne sais pas son nom, j’ignore même si elle est finnoise.

- Et tu dis qu’elle a essayé de l’empoigner ? Comment ça s’est passé ?

- Elle se tenait au départ un peu en retrait. Puis elle l’a appelé par son nom. Je n’ai pas entendu ce qu’ils se racontaient mais ça a fini par devenir sacrément chaud. Je crois qu’elle l’a traité d’enfoiré, d’irresponsable sans cœur et de salaud fini. En tout cas, la Cendrillon, elle ne faisait pas que dans les mots d’amour, loin de là.

- Merci de ton témoignage, Virpi. On va déjà tenter de bosser sur les éléments que tu nous as donnés.

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Erkki et Arja étaient à peine sortis de la galerie que le portable de la commissaire Virtanen sonna. D’un geste autoritaire, Arja fit signe à Erkki de se taire.

- Nieminen, on va de suite à Levi. On vient de me signaler un trouble à l’ordre public devant le centre de thalasso. Une femme étrangère, sans doute allemande, probablement en état d’ébriété. Elle correspond au signalement que nous a donné Virpi.

Arja prit le volant et démarra en trombe. Elle pressentait que la femme signalée était la suspecte et qu’elle était impliquée dans le meurtre du professeur Paikkala. Si celle-ci était ivre ou bien dans un état second, il lui fallait l’interpeller rapidement, avant que les choses ne se gâtent ou qu’elle prenne la fuite.

Une fois arrivés sur place, Arja et Erkki virent que le service de sécurité du centre de bien-être n’avait pas exagéré sur le terme « trouble à l’ordre public ». La fameuse femme du monde dont Virpi avait parlé était dépenaillée, les vêtements déchirés, le visage tuméfié et les poignets lacérés. Elle s’était fameusement automutilée.

Malgré le sang qui ne cessait de s’écouler de ses avant-bras, elle s’époumonait comme une possédée, prenant les passants à partie, un couteau à la main.

-Ah, vous m’en direz tant ! Un homme du monde, un gentil petit intello ! Un de ces soi-disant artistes solitaires au cœur… Mon cul ! Un salaud fini, oui ! Un enfoiré de première qui s’est bien joué de moi ! Il m’a bien baisée, dans tous les sens du terme ! Non content de me briser le cœur, il m’a piqué toute ma collection de miniatures et a fait barrage pour que je ne puisse pas accéder au poste de conservatrice au City Museum !

Vous qui êtes bien tranquilles dans votre petit village, vous ne devez pas connaître tout ça ! Eh bien, vous aurez de quoi rédiger quelques colonnes dans votre canard local, aujourd’hui !

Oui, je l’ai étouffé, étranglé, j’y ai mis toutes mes forces, j’aurais voulu le briser tout entier !

Il est mort bien trop vite et il n’a pas encore assez souffert !

J’aurais dû l’égorger comme un porc, petit à petit, pour qu’il se rende bien compte de ce qui lui arrive !

Erkki murmura à Arja.

 

- Dites donc, elle a l’air méchamment barrée, la Cendrillon…

Les mots d’Erkki n’échappèrent pas à la forcenée.

- Vous les hommes, vous êtes tous pareils ! Il n’y en a pas un pour racheter l’autre ! Sale flic, c’est toi que je vais saigner !

 

Elle se jeta, couteau à la main, sur Erkki. Celui-ci fit promptement un pas de côté, évitant l’arme de justesse. La furie, tout d’abord surprise, tenta un second assaut. Arja dégaina son arme et visa la suspecte.

 

- Les mains derrière la tête ! Tout de suite, sinon je vous abats !

- Toi, la Neutrogena, tu la fermes ! ! C’est toi qui vas baisser ton arme ! Sinon, tu pourras dire adieu à ton copain le poulet !

 

Arja tenait la suspecte en joue. Celle-ci semblait se calmer. Mais quand Erkki mit lentement la main à son revolver, elle tenta une troisième ruade.

Erkki tira sans aucune sommation. Le sifflement de la balle fendit l’air glacial. La femme s’écroula sur la route enneigée, atteinte d’un coup mortel en pleine poitrine.

L’inspecteur Nieminen haussa les sourcils et se tourna vers Arja qui demeurait totalement impassible.

- Légitime défense, balbutia Erkki… N’est-ce pas, commissaire ?

- Affaire classée, mon cher Nieminen.

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Virginie Vanos

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J
On ne plaisante pas en Laponie, le froid échaufferait - il les sangs ? <br /> Merci d'avoir partagé cette nouvelle
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V
Le pire est que j'ai écrit cette nouvelle un mois avant de partir à Kittila.... Une fois là-bas, j'ai pris conscience que s'il y avait caricature dans ma nouvelle, c'était sans grande exagération....
B
avec plaisir